Réveil en douceur ce matin, vers 7h pour moi, c'est à dire 1h30 du matin heure française. Réveillé par suffocation. Le rhume contre lequel je me bats depuis 2 semaines semblait en fin de vie. Mais c'était sans compter sur les vols depuis la France, et l'air asséché dans les avions. Ce matin, c'est juste l'asphyxie, j'ai le nez aussi encombré qu'une rue de Delhi, c'est pour dire. Je me drogue avec ce que je peux et nous finissons par nous lever vraiment une heure plus tard.

 



Direction le cinquième étage pour le petit déjeuner. L'escalier central est tout de marbre bâti, la perpective au sommet est étourdissante. Le repas l'est tout autant. Les plats indiens ont la vedette pami les pauvres tartines de pain grillé et la confiture fluorescente que Pentax décide néanmoins de goûter.

Les noms nous sont inconnus, et très difficilement mémorisables, mais c'est super bon. Plusieurs plats de riz, en sauce ou pas, de poisson frit en beignets, des saucisses, légumes en sauces également, pommes de terres sucrées, le tout agrémenté de pain brioché luisant de beurre clarifié. Un délice. Je prends un thé mais nous restons loin du jus de fruits proposé. Le lait froid me fait envie, je le goûte et décide qu'il sera meilleur dans le thé brûlant. Au moins, je règlerai leur compte à d'éventuelles bactéries.

9h30, nous quittons la chambre, descendons tout notre barda pour rencontrer notre chauffeur. Mais avant ça, il faut payer. L'un des réceptionnistes du jour nous donne la note, c'est ce qui était prévu. 2600 roupies et des brouettes. Par carte, oui. Olivier l'insère, tape le code et machinalement je regarde le montant imprimé sur le reçu. 6005 roupies. Dis donc... nous demandons une explication et le réceptionniste s'excuse profusément de cette erreur... surtout que le type juste à côté semble être le patron. Y'a pas de mal! Mais on ne sait toujours pas si c'était une authentique erreur ou pas.

 

OLD DELHI

 

La voiture a l'air en bon état, elle a les bonnes plaques pour transporter des touristes, le chauffeur nous affirme que "You happy? I'm happy" et qu'on peut y aller sur les demandes pendant le voyage. Le réceptionniste fantôme de hier nous a même glissé entre deux pages du contrat que si on voulait, on pouvait même demander à faire venir des filles "pour nous amuser un peu" pendant le trajet! Tsss c'est pas le genre de la maison...

Nous allons visiter les rues enchevêtrées de Old Delhi, mais avant direction la mosquée la plus grande du pays, non loin : la Jama Masjid, avec son minaret de 40m de haut qui surplombe la vieille ville. Sandales laissées à l'entrée et nos bermudas recouverts de paréos vintage prêtés à l'entrée également car on ne doit avoir ni les jambes ni les bras découverts. On nous fait pourtant grâce de nos débardeurs.


A l'intérieur, c'est une grande esplanade vide avec en son centre un bassin carré au bord duquel certains font leurs ablutions (visage et pieds) tandis que les touristes déambulent calmement. L'enceinte est faite de couloirs en colonnades où les gens se reposent, couchés ou assis, Musulmans comme visiteurs. Une mamie en sari jaune se tourne vers moi alors que je viens de m'assoir près d'elle et me demande mon nom. Nous commençons à discuter et elle me dit, la mort dans l'âme, qu'elle est venue voir sa soeur qui est ici, à l'hôpital. Elle a un cancer et ce n'est apparemment plus soignable. Un courant frais me parcourt le dos. Puis dans un même souffle, elle me lance: "Help me."

Je me disais bien aussi, cela ne pouvait simplement pas être une banale conversation! Je reste avec elle encore un peu. "Quel âge a-t-elle ?" Elle me répond : "non, non". Bon, OK, celle-là, elle est pas comprise. Puis je pointe du doigt un total étranger au loin d'un air surpris et me lève en la saluant. "J'ai retrouvé mon ami, là-bas ! Heureux de vous avoir rencontrée". Elle me fait un geste de la main et je détale. C'est moche moche moche de jouer avec les sentiments des gens, comme ça. Et si oui, sa soeur est malade, c'est pas en lui donnant des roupies que je vais la guérir !


Nous montons au sommet du minaret, chacun notre tour pour garder les sacs à l'entrée car l'espace est très réduit dans l'escalier. La vue est panoramique bien sûr et surprenante. La ville s'étend à perte de vue dans les brumes de chaleur et de pollution, toujours cette couleur jaune-beige habillant les milliers de constructions cubiques pour la plupart délabrées, divisées par de poussiéreuses avenues encombrées de trafic en tout sens. Le tumulte des moteurs n'est couvert que par la symphonie de klaxons : l'Indien conduit au klaxon. Un coup de klaxon peut tour à tour signifier "je suis là", "pousse-toi", "non c'est moi", "mais vas-y te dis-je", "dégagez, j'ai la plus grosse". On dit qu'en un jour, un Indien klaxonne autant qu'un Américain en un an. C'est juste pour comparer.


Puis nous nous perdons volontairement dans l'entrelac de ruelles étroites qui composent la vieille Delhi. Ici, on peut quasiment toucher les deux murs en étendant les bras. Le soleil presque au zénith lance ses rayons à travers la fumée des bâtons d'encens que chaque commerçant fait brûler. Les câbles électriques sont reliés en pelotes énormes à chaque pylone ou crochet scellé au mur, et pendent mollement entre deux. Ici, les commerces sont pour la plupart des boutiques de papier et matériel de bureau. Mais on n'est loin de Top Office ! Pas de vitrine, pas même de magasin. Ici le plus souvent, c'est une cave aménagée ou même un recoin qui sert d'entrepôt et de lieu de vente. Les gens nous regardent bizarrement quand on se croise. J'essaye deux ou trois sourires, les retours sont timides.


EN ROUTE

 

Notre chauffeur nous amène manger quelque part "très bon et pas cher" (c'est vrai) où je retrouve mon byriani de poulet préféré puis vers 14h30 nous voilà repartis pour Bikaner, où nous arriverons demain matin après avoir passé la nuit à Mandawa.


Mais pour l'heure (16h30), c'est 4h ! Notre chauffeur dont je n'ai pas retenu le nom nous demande si nous désirons boire un thé. Olivier m'en parle depuis notre arrivée, du thé indien : un thé au lait avec des épices et du sucre qui paraît-il est très bon. Allez, on s'arrête. Dans un hyper-boui-boui, par rapport à hier soir. En bordure de route, derrière un grand terre-plein de poussière, l'établissement est ouvert en façade et nous prenons place tous les 3 à une table. Pas de lumière à part celle du jour, l'intérieur est triste et glauque à souhait et me rappelle notre mémorable nuit sur la route de Pondicherry 6 ans plus tôt. Nous prenons néanmoins notre thé, excellentissime, épicé à la cardamome, accompagné de petits cubes de fritures sucrées au goût de merveilles.

On en profite pour briefer notre chauffeur sur le parcours et les hôtels. Car on sent bien qu'il a en tête de nous caser dans les hôtels de son choix tout le long du trajet, où il touchera probablement une commission, même si l'on nous a assuré que nous aurions le choix final. Et quand il apprend que nous avons déjà tout réservé, il marque un temps d'arrêt. Puis nous finissons nos thé et nos merveilles et reprenons la route, non sans aller faire un pipi de bon aloi pour Olive après que le chauffeur lui a demandé s'il voulait aller aux toilettes... pour se retrouver à uriner à l'arrière du bâtiment contre un mur éboulé. Les toilettes à l'indienne. Il n'est pas rare dans des sites un peu naturels de croiser au loin un mec accroupi, occupé à faire ses besoins le plus naturellement du monde.

La route est tout simplement une horreur. Nous roulons en moyenne à 50 km/h. Le trajet est parsemé de nids de poule qui ressemblent plus à des cratères que le chauffeur évite quand il les voit. Puis il y a les ralentisseurs, avant chaque virage, et pas seulement en ville. Des fois, il ne les voit pas, non plus. Et puis il y a les camions qui transportent des gens, des tracteurs qui tirent de gigantesques bales de foin sur des remorques, des vaches, des vélos, des piétons, que le chauffeur double à qui mieux mieux, souvent en 3e position sur la chaussée. Nous croisons un accident qui vient juste de se produire : l'une des voitures semble avoir fait un ou plusieurs tonneaux, son toit est complètement enfoncé. Des gens sont autour à déambuler.

A cela s'ajoute la nuit. La nuit tombe vers 18h. Aucun éclairage à part dans les villages que nous traversons, souvent éclairés par les néons des boutiques de bord de route. Sinon, rien. Et la route n'est pas marquée. Aucune ligne blanche qui délimite les voies ou les bords de chaussée.

A cela s'ajoute les pleins phares, que presque personne ne bascule en feux de croisement. Les phares de moto se confondent avec ceux des voitures, de sorte qu'à un moment, je crois voir une voiture qui arrive au loin alors qu'il s'agit d'une moto juste devant. Effrayant, éprouvant. On ne ferme pas un oeil plus de 10 minutes le long des 7h de trajet, c'est l'enfer.

Mais nous parvenons enfin au bout de l'itinéraire et nous arrêtons à Mandawa, un village paumé à 300 km de Bikaner, où nous arriverons demain.

Je commence à regretter mon trajet de nuit en bus. Au moins aurions-nous eu plus de temps pour visiter Delhi cet arès-midi, comme le départ était prévu vers 21h.

 

MANDAWA

 

Pendant le trajet, le chauffeur nous demande de lui faire confiance pour l'hôtel, que nous n'avons pas réservé puisque nous devions normalement passer la nuit en train ou en bus. Soit. Il nous demande quel budget nous avons pour les nuits. Je lui réponds 1500 roupies, qui est la fourchette plutôt basse.

Nous arrivons donc à l'hôtel. Le Mandawa Heritage Hotel. Une magnifique demeure "bourgeoise" indienne, avec une multitude de décorations peintes et sculptées, porteurs, atrium aux peintures bigarrées à l'intérieur. Le tout nous arrache un "wouah" de surprise à l'arrivée. Le chauffeur parle au réceptionniste puis celui-ci, comme convenu, nous présente la chambre que nous aurons si nous acceptons de dormir ici.

Une chambre simple, beaucoup plus simple que les parties communes. Sol en béton, déco vieillotte, douche asiatique (la salle de bain est la douche). Ça va. Pas génial, mais on a vu pire.

On demande le prix. Le réceptionniste s'approche de moi, baisse la voix sur le ton de la confidence et m'annonce que "pour nous", le prix sera de... 1500 roupies.

L'autre vient de signer son arrêt de mort. Je savais qu'il essayerait de caser ses établissements à commissions, mais ce qui m'énerve c'est que c'est si minablement mené, si évident. J'ai du mal à croire qu'il puisse imaginer une seconde qu'on ne voie pas son jeu. C'est insultant. Surtout que juste en sortant de la voiture, il m'annonce l'oeil larmoyant que nos prochaines réservations d'hôtel, il faudra les annuler parce qu'il nous trouvera quelque chose de mieux. Vous voyez, s'il va dans un hôtel seul, sans accompagnant, on lui manque de respect.

Sidération.

Nous prenons la chambre car de toute façon il n'y a rien dans ce bled, pas même un restaurant, à part celui de l'hôtel, cher par rapport à notre boui-boui de hier soir. Le chauffeur nous dit au revoir (tiens, il ne dort pas ici finalement ?) et nous donne rendez-vous demain à 9h pour partir pour Bikaner. Ah non, il doit nous amener voir un haveli ma-gni-fay-que, ces vieilles demeures rajasthani toutes merveilleusement décorées, un peu comme cet hôtel.

Evidemment, cela sera une arnaque où il va falloir débourser pour voir 3 breloques et passer par un magasin. Tu verras, lecteur, j'aurai raison.

Parce que nous allons y aller, à sa visite. Et on mettra les choses au clair suivant l'issue.

En attendant, Olive vient de se savonner les mains dans la salle de bain, et il n'y a plus d'eau. Et moi, j'attends depuis 20 minutes que le réceptionniste "relance" la wifi qui ne fonctionne pas.