Nous nous couchons au son d'une musique assourdissante non loin de l'hôtel. Nous apprenons ce matin qu'il s'agissait d'un mariage. Quel dommage de ne pas l'avoir su plus tôt.

A 9h, nous sommes prêts à partir. Le valet/porteur/employé charge nos sacs dans la voiture, nous payons la chambre et nous voilà partis pour Bikaner. 3h de route annoncées.

 

Ah non, d'abord, la visite proposée par notre chauffeur (il faut vraiment que je lui redemande son nom). Le test.

 

LES HAVELIS

 

Nous sommes amenés dans le vieux Mandawa. Un jeune guide nous y attend, qui parle français. Chikander - mais en français c'est Alexandre - nous sort du "bonjour" et du "comment ça va?" dans un français pas trop mauvais, mais ses compétences linguistiques ne s'arrêtent pas aux seules salutions. Il nous fera visiter quelques havelis pendant la prochaine heure et demie, nous racontant l'historique des endroits ainsi que des anecdotes. Et ce n'est pas que du par coeur car nous lui posons des questions diverses (en rapport ou pas avec Mandawa) et il comprend tout et nous répond. Il s'adapte aussi : pour parler de certaines peintures à caractère hum-hum (sexuel), il ne mentionne pas le kamasutra mais... "golo-golo dans la case" ! Il me rappelle la petite vendeuse birmane au pied d'un temple à Bagan qui nous faisait l'article en déclamant "C'est moins cher qu'à Leclerc!".

Les havelis sont de grosses demeures bourgeoises comme je disais hier qui furent construites par les riches commerçants aux 18e et 19e siècles lorsque la ville se trouvait sur la route des épices et de la soie. Les commerçants vivaient souvent chichement sur les lieux d'échange et plaçaient leurs familles dans ces grosses maisons qui devaient en imposer pour montrer leur richesse et leur importance sociale. Elles étaient décorées de fresques d'abord inspirées de l'héritage moghol de la région puis par les Britanniques par la suite. Les artisans qui étaient embauchés appartenaient, chacun en fonction de son métier, à des castes différentes.

 

Certains havelis sont en piteux état, abandonnés. Les peintures murales sont délavées, défraîchies par des décennies de soleil et de poussière. D'autres ont été rachetés soit par des Indiens soit par des Européens, jusqu'à 4 milions d'euros pour le dernier en date à Mandawa. Ceux en cours de restoration le sont pour devenir des hôtels. A l'extérieur, les étages "débordent" sur le rez-de-chaussée, un peu comme nos maisons à encorbellement du Moyen-Age. Les fenêtres sont bordées de moulures peintes aux couleurs et formes diverses, des dizaines de Ganesh (le dieu à tête d'éléphant) et de Shiva ornent les moindres recoins, c'est quand même assez beau à découvrir.

 

La visite passe évidemment pour finir par deux boutiques : une de l'école d'art locale, dont certains artistes sont recrutés pour restorer les fresques murales des havelis, l'autre de la famille de Chikander - enfin, Alexandre - qui vend des tissus. On nous y offre le chaï, le thé indien sucré et épicé, encore un délice, avec sa cardamome et une pointe de gingembre, Chikander nous déballe des étolles, des pachminas, des écharpes et des tapis en patchwork pour nous montrer sa came.

Olivier se laisse séduire par un article pour sa mère.

Moi ? Non, je n'achèterai de pachmina en cachemire même si la qualité est là, indéniablement. "Pour ta mère". Ben, non, elle est morte. "Et la copine?" Ah non, ma copine, elle aime pas ça! Mon Dieu qu'il est drôle. Et il me flatte en plus : à deux reprises pendant les visites, il me dit que je ressemble à un maharaja avec ma barbe, et que ça va bien avec mon chapeau. Puis quand j'enlève ce dernier dans sa boutique, il me fixe, s'approche et me demande s'il peut toucher mon crâne rasé. Vas-y, fais-toi plaise, my friend! "C'est comme le maharaja!" Il commente même le toucher à son frère qui nous prépare le thé. Mais non, je ne prendrai rien quand même pour la bonne et simple raison que je n'ai vraiment personne à qui faire ce genre de cadeau. Les grands-mères en ont déjà ! (et il ne vend pas de turbans car on n'est pas chez les Sikhs, donc même si j'aime l'idée, je ne jouerai pas au maharaja!).

Retour à la voiture. Nous le "tippons" (nous lui donnons son "tip", son pourboire) et comme nous n'avons aucune idée du montant correct à lâcher, Olivier lui demande carrément si c'est assez (500 roupies). Il est d'usage de donner une vingtaines de roupies pour les porteurs de valises, donc nous pensons que 500, c'est bon. Et il répond que oui, c'est bien ! L'honneur est sauf.

 


BIKANER

 

Nous arrivons vers 14h à Bikaner, directement chez le chamelier, pour notre "safari à dos de dromadaire". Comme partout ici, son commerce ne se distingue en rien des autres. Simplement "camelman" peint sur le mur. Nous allons d'abord nous restaurer au fastfood du coin, moi une pizza que j'ai encore sur l'estomac, Olive un plat en sauce épicé qu'il doit avaler en 5 minutes car l'heure du départ approche.

A 15h, nous sommes de retour chez Vijay et nous prenons un 4x4 qui doit nous amener au point de départ du trek dans le désert. Nous serons ce soir avec un couple d'Allemands et deux Chinoises. Mais là, ils sont déjà partis donc nous sommes juste entre nous. Deux chameliers nous accompagnent et nous font monter sur les bestioles. Première sensation marrante, la mise debout est sportive pour le monteur! On penche à 45° vers l'avant le temps que la bête se mette sur ses pattes arrière, puis on redresse la barre quand c'est au tour de celles de devant.

Nous sommes partis pour 2h de trajet. Nos dromadaires sont tenus en corde par les chameliers qui marchent devant. Nous ferons du 6km/h. Le temps d'apprécier le paysage. Tiens, parlons-en du paysage : nous traversons une sorte d'arrière-village pauvrissime où les enfants nous font des grands bonjours avec force sourires, puis nous passons dans la zone décharge qui nous effraie un peu. On espère que leur désert ne ressemble pas à ça.

 

Puis la zone décharge s'estompe et le désert, ou semi-désert arrive. Nous marchons sur une route de terre encadrée de champs délimités par des fils barbelés. Pas exactement le désert que nous avions en tête.

Et puis, c'est long, le dromadaire. Les deux heures passent lentement, le roulis induit par la démarche de la bête m'endort et je ne suis maintenu éveillé que par les flatulances de ma monture... et de son maître. Photos, discussion avec Olive qui chevauche devant. Tiens, sa bestiole urine. Ça occupe. Et le mien vient un moment après lui renifler l'arrière. C'est mondain, certainement, entre dromadaires.

Bref, encore une sortie que nous commençons à regretter. Vivement les palais et les photos.

 

Nous parvenons au camps 2h après le départ. Une plateforme de terre plantée de deux bâtiments de ciment hideux et à l'opposé, trois canadiennes plantées. Ouaiiiis. Trop fun.

Heureusement, le couple d'Allemands, qui sont bavarois en fait, ont l'air sympatoche et on a des bières pour ce soir. Peut-être la soirée sera-t-elle agréable...

Tiens, j'ai mal à l'estomac. Je croise les doigts que ce ne soit que le dromadaire et/ou la pizza de midi.

Vraiment, un bon départ, ce voyage...

 

(plus tard)

 

Pendant un bon moment, chacun vaque a ses occupations : les Bavarois et les Chinoises s'écartent du campement pour visiter les environs. Il n'y a pas grand-chose à voir : un désert de broussailles, à perte de vue. On est quand même dans le désert. Ou du moins à l'entrée du désert. Olive s'est échappé également et fait des photos de nos dromadaires. Nos sherpas, nos accompagnateurs, s'activent à préparer le repas et la nuit. L'un va chercher du bois pour le feu, l'autre installe les matelas et couvertures dans les tentes, un troisième est à la cuisine. Et moi je m'enfonce petit à petit dans un mal de tête et d'estomac bien significatif de ce que je redoutais : la tourista. Ca tourne, ça grouille, ça vire, c'est pas cool.


Vers 19h30, La nuit est tombée, la table est mise et la seule source de lumière du camps est une bougie en son centre. Je cherche à mes changer les idées et prépare mon appareil photo pour une séance de time-lapse qui va durer pas loin de 3h, avec le ciel nocturne en fond.

C'est dingue le nombre d'étoiles que nous voyons ce soir. Il n'y a aucune source de lumière parasite, du coup la voie lactée apparaît comme un voile translucide qui divise le ciel en deux. On ne s'en lasse pas.

Puis nous mangeons. Les langues se délient un peu, nous sympathisons bien avec les Bavarois alors que les deux demoiselles chinoises restent très effacées. Nos accompagnateurs ne dînent pas avec nous mais restent plantés près de la table, les mains dans le dos, tels des vigils pas très jouasses. Mais ils sont aux petits soins pour nous. Je mange un peu. La soupe à la tomate semble bonne mais est très épicée. Je picore du reste : riz, légumes en sauce, chapathi (une galette de blé croustillante). Je ne touche même pas aux naans. Je me sens de moins en moins bien.

Les conversations vont bon train, nous rigolons, c'est vraiment un super moment. Puis à la fin du repas, nos vigils allument le feu de camps et nous allons nous installer autour avec les bières que nous avons achetées. La bière indienne est vendue en bouteilles de 650 ml, comme je l'avais appris 6 ans plus tôt. Et étrangement, elle passe plutôt bien, comparée au repas solide. Je vais découvrir dans quelques heures qu'elle passe tout aussi bien dans l'autre sens.

Le froid tombe. Nous ne sommes pas assez couverts. je n'ai qu'un sweat avec mon chèche, que je porte en turban. Olivier n'a qu'une veste également. La soirée s'étire, Florian et Miriam partent à un moment chercher du petit bois pour maintenir le feu, puis c'est au tour d'Olivier de prendre la relève (j'irais bien, mais ch'uis malade!). Au cours de la 2e expédition, Florian coupe et ramasse tout ce qui pousse alors qu'Olive s'éloigne pour ne trouver que du bois sec. Il est fier, quand il revient avec son petit fagot de bois mort... mais déchante devant la montagne de brindilles que le Bavarois a rassemblé dans le même temps. Eclats de rire.

Vers minuit, nous laissons mourir le feu et continuons un moment les conversations. L'une des Chinoises nous a rejoint. Elle étudie le hindi ici. Quelle drôle d'idée. Florian, le Bavarois, a fait des études de graphisme numérique tandis que Miriam est plutôt dans l'éducation. Ils voyagent en Inde depuis janvier et terminerons leur périple au Népal dans un mois, avant de rentrer près de Münich et trouver un boulot.

L'heure du coucher arrive, que je redoute. Le feu de camps est si agréable, la tente si loin et si froide. A peine levé, je suis pris de tremblements irrépressibles, j'ai froid, mal à la tête et au ventre. Je range mon matériel photo et on se dirige vers la tente. En quelques pas, je bégaye à Olive que je dois absolument aller aux toilettes, la catastrophe est imminente. Evidemment, au moment où je m'enferme je perçois une silhouette du coin de l'oeil. Miriam attend la place.

Je rêve. Tant pis, elle aura droit à un son & lumière, sans lumière.

Je passe la nuit à me lever toutes les 2 heures en moyenne pour aller vomir. Je suis au bout de ma life. Mais en tout cas, c'est mieux qu'il y a 6 ans, où cela m'avait pris dans un train. Parce que les toilettes dans un train... indien...