Journée anniversaire aujourd'hui : cela fait une semaine que nous voyageons en Inde. Et quel plus beau cadeau pour cet anniversaire qu'une journée bien pourave de chez ta mère (pour moi, j'entends). On sort juste du resto et côté irritation, j'ai pris ma dose.

(et voilà que mon clavier bluetooth tombe en panne de batterie. Non mais c'est quoi cette tanasse!?)

 



Le resto, c'était une proposition de Sunoo que nous avons officiellement rebaptisé Snoopy. Il nous a demandé le genre de resto qu'on voulait pour déjeuner. On lui répond "moyen marché" et je crois qu'on aurait pu lui dire n'importe quoi ç'aurait été du pareil au même : nous aurions atterri dans cet établissement, qui sert néanmoins de la "good food for the stomach", nous dit-il en montrant Olivier. Ça, il l'a bien retenu, qu'on se chiait dessus depuis quelques jours. Non, loin de moi l'idée d'être vulgaire, ni même grossier, lecteur, mais quand même.

Nous avons donc été parachutés dans cet hôtel-restaurant pour touristes où... ben il n'y a que des touristes. Super, déjà, j'adore. La commande prend une éternité parce que le serveur ne comprend pas grand-chose à ce qu'on lui demande. De plus, la moitié des plats proposés ne sont plus disponibles. De dépit, je choisis un plat inconnu, du mutton sagwala... et on m'apporte un plat de poulet. J'appelle un autre serveur pour lui demander si c'est du mouton, il me dodeline que oui. Je lui remontre mon morceau de viande blanche et lui demande maintenant s'il s'agit de mouton. Re-dodelinage : oui. Non mais tu te fous de moi ou t'es véritablement débile ? Je rappelle le serveur du début, et son boss (ou faisant office) passant par là, il s'approche également. Ils sont 3 au-dessus de mon problème et l'inspectent comme si ça bougeait, ou pire encore, comme s'ils ne l'avaient jamais servi auparavant. Y'a pas à tergiverser : c'est filandreux, c'est blanc, ça a goût de poulet : c'est du poulet. On s'excuse, on me fait des courbettes, y'a dû y avoir une confusion à la cuisine... tu parles, c'est ton serveur, la confusion. J'ai bien vu qu'il était décontenancé au moment de prendre la commande : il nous a parlé des desserts donc on lui a dit ce qu'on voulait. Et quand il est revenu pour nous annoncer que la 1e commande n'était pas possible car il n'y avait rien de ce qu'on voulait, il a posé le bon de commande sur la table et c'était un vrai bordel sur le papier. Va ranger ta chambre, tu reviendras après.

Olivier, lui, n'en peut plus de l'Inde : tout est bon, même si c'est épicé, tout lui sourit, c'est une vraie star à l'extérieur auprès des Indiens qui veulent tous se faire photographier avec lui, il choisit toujours des plats inconnus et bons. Et donc il se laisse pas démonter avec son petit chicken curry dans son petit plat en métal, avec son petit naan à côté, son petit jus d'orange, tout va bien, c'est l'heure du manger! Et moi, ils se foutent de moi.

Tiens, le serveur bordélique revient avec un plat. Maintenant, c'est vert foncé. Je prie pour que ce soit des épinards. Je commence finalement à manger en ronchonnant. Je me fais penser à Karine, ma pote de voyage pour ma 1e expérience en Inde. Dépitée par plein de déconvenues accumulées, les comportements un peu excessifs et filous des Indiens, elle avait fini son périple dans un orgasme de complaintes, ce qui nous faisait bien rire, il faut le dire.

Snoopy arrive, il trouve le temps long. On lui raconte que son plan est pourri et qu'on attend toujours le dessert d'Olivier. Qui n'arrive pas et pour cause : ils l'ont zappé complètement. Bref, c'est n'importe quoi.

Au bout d'un long, long moment, nous reprenons la route. Cette journée avait pourtant bien débuté, lis plutôt, lecteur :

 

Réveil vers 7h30 ce matin car nous avons rendez-vous une heure plus tard avec Snoopy. Lavage, bagages, petit déjeunage (c'est pour la rime) et nous voilà partis pour une nouvelle journée de visite et aujourd'hui, c'est de l'historique, du mythologique : la forteresse de Chittorgarh, inscrite au patrimoine mondial de l'humanité.

 

UN PEU D'HISTOIRE

 

Trois fois dans l'histoire la forteresse de Chittorgarh fut prise par les Moghols, terribles envahisseurs musulmans durablement établis dans la région de Delhi à l'époque de la première bataille, en 1303. (Delhi était un sultanat depuis deux siècles.)

Les dynasties rajput (issues de métissages entre les envahisseurs Huns et les tribus locales au VIe siècle) régnaient plus au sud. A Chittorgarh, c'était le maharana Ratan Singh et son épouse Padmini, originaire du Cachemire et d'une sublime beauté. Le Sultan de Delhi, Allaudin, eut vent de cette superbe reine et exprima le désir de pouvoir la contempler.

Pour éviter une guerre, Padmini y consentit, mais à condition que cela se fît par le biais d'un jeu de miroirs, pour préserver son honneur. Mécontent, le sultan moghol fit emprisonner Ratan Singh par traîtrise. La reine, aussi intelligente que belle, accepta alors de se rendre au camps du sultan accompagnée de 800 palanquins pour ses servantes, qui en fait étaient des soldats cachés, les palanquins étant portés par des soldats déguisés. Grâce à cette ruse, elle délivra son époux.

Allaudin, tombé amoureux fou de la Reine, attaqua la forteresse de Chittorgarh avec son armée. Sur le point d'être battus, les soldats rajputs revêtirent la robe safran du sacrifice suprême et résistèrent jusqu'au dernier. La reine Padmini inaugura alors, pour elle et ses servantes, le johar, le suicide par le feu. Des milliers de femmes revêtirent alors leurs tenues de jeunes mariées et se jetèrent dans l'immense brasier.

De quoi faire un beau film, eh ? (Merci au Routard pour le condensé historique.)

 


La boucle se boucle lorsque tu apprends, cher lecteur captivé, que lors du troisième sac de la ville dans l'histoire, le maharana Udai Singh réussit à s'échapper et fonda Udaipur et son palais fantastique, que nous avons visités hier. Mouais. Pas très glorieux pour un raja, de s'éclipser de la sorte. Normalement, le Rajput se bat. Mais personne ne lui en a jamais tenu rigueur. Ce fut différent apparemment pour une caste de forgerons qui firent de même (le salut par la fuite) et qui se condamnèrent à une vie d'errance, tourmentés par la honte. Leurs descendants semblent encore payer pour le geste de leurs ancêtres puisqu'ils sont maintenus à la périphérie des villes et vivent en nomades.

Nous visitons donc cette forteresse. 6 km de long pour 500 m de large, le complexe est monumental, c'est le cas de le dire. Le premier ensemble, Rana Kumbha, est un palais en ruine aux multiples terrasses, dômes et niveaux surplombant la ville. Aucun sens de visite, aucune barrière, ça change des visites formatées partout ailleurs dans le monde. Ici, c'est un terrain d'urbex à ciel ouvert, un parcours pour grands enfants où on peut marcher, déambuler avant d'escalader une muraille et faire l'équilibriste au dessus de 150m de vide avec la ville en contrebas, sous les cris stridents de sortes de grosses perruches vertes nichant dans les tours abandonnées. Encore une fois, ambiance Livre de la Jungle, explorations du 19e, décor romantique incomparable.

 


Snoopy reste avec nous aujourd'hui. Le site est tellement vaste qu'il vaut mieux être motorisé pour visiter les différents monuments. Nous enquillons ainsi plusieurs magnifiques temples et l'incroyable Jaya Stambha, la Tour de la Victoire : 37 m de dentelle de pierre, chaque étage si finement sculpté, ciselé qu'on hésite entre force et fragilité en la voyant. Vraiment impressionnant.

 



Le site de la tour concentre 5 ou 6 autres temples ou monuments parmi lesquels les touristes (indiens pour une très grande majorité) se promènent sous un soleil de plomb. En descendant vers les murailles, après deux volées d'escaliers pentues qui n'arrêtent pourtant personne, se trouve une source autour de laquelle a été monté un minuscule abri qui sert de temple, l'eau se déversant dans une retenue à côté. Les gens font la queue, pieds nus, pour entrer dans ce minuscule temple s'asperger d'eau de la source, alors que d'autres s'y baignent carrément.

Nous voyons également, plus loin, une pâle mise en scène du fameux jeu de miroirs imposé par Padmina au sultan pour ne pas être vue directement : 4 miroirs accorchés en carré, face à face, dans une coupole. Il doit falloir s'imaginer tout le reste...

 

 

SORTEZ-MOI DE LA, JE SUIS UNE CELEBRITE

 

La surprise, pour nous, vient surtout des touristes indiens. Nous n'en avions pas encore rencontrés de manière aussi concentrée. Ils sont pléthore, lecteur. Et il y a beaucoup de jeunes. Nous n'avons pas cessé de nous faire littéralement harceler par tous pour des photos. Je ne me plaignais pas, plus haut, qu'Olivier attire du monde à lui. C'était assez vrai, mais j'ai eu ma dose aussi et au bout d'une journée, j'ai l'impression de savoir ce que peuvent vivre les célébrités, toute proportion gardée évidemment.

Dès le premier site, le palais, 3 ados viennent me voir. "Which country? What you name?" Ça, ce sont les incontournables. Quel pays? C'est quoi ton nom? Sourires, échange de photos, enfin, c'est plutôt eux qui mitraillent pour une fois et on se quitte à grands renforts de coups de bras et de dodelinages de tête.

 



euh... je crois que Pentax voulait être sur la photo...

 

A peine j'ai fait une dizaine de clichés, deux adultes, jeunes, m'abordent. "Selfie?" Ouais, OK, fais ton selfie. Bon des fois, ce sont des personnes charmantes, c'est pas désagréable (Olivier vous dira la même chose). Mais en fin d'après-midi, j'ai bien cru que ma dernière heure était arrivée.

Nous sommes à un temple sur la route de Bundi, il y a pas mal de touristes indiens et un groupe de jeunes m'accoste. Ils doivent avoir entre 15 et 18 ans. Ils sont une petite dizaine et ça me dévisage comme si j'étais une bête, tu sais ? Comme quand tu es obligé d'aller faire des courses ce jour où tu as un gros bouton rouge en plein sur le nez et que dans la queue à la caisse, le gamin de devant te dévisage, les yeux rivés sur ton bubon. Il le regarde sans se cacher, presque fier d'avoir découvert cette horrible chose sur toi. Eh ben eux, c'est la même. Et c'est moi le bubon ! Sans vergogne, il regarde de haut en bas, me fixe, directement, touche aussi, s'ils le peuvent, regardent les photos que je prends, l'appareil...

On ne s'est jamais sentis en insécurité depuis le début. Même submergés de gens, il n'y a absolument aucun sentiment de violence ou de risque. Les gens sont tous sympas même s'ils ne sourient pas tous (d'ailleurs, personne ne sourit sur les photos. C'est sérieux, les photos). Mais eux, ce soir, je sais pas, je les sentais pas, alors qu'ils n'étaient ni violents, ni trop tactiles mais bon, je n'y étais pas. On fait une séance selfies puis je m'échappe ailleurs. 10 minutes plus tard, ils me recollent aux basques et me font signe de les suivre. "Photos, photos!" Je leur dis qu'on a déjà pris des photos. Ils font "non" de la tête et signe de les suivre. Je les suis donc sur l'esplanade même si j'en ai moyennement envie, ça commence à me saouler mais bon, soyons cool.

Et là, ils traversent l'esplanade et longe le gros temple en face en me faisant toujours signe. Mais où ils vont ? Mentalement, je me fais la promesse de ne pas dépasser le côté du temple et de ne pas aller à l'arrière tout seul, sait-on jamais... Puis ils s'arrêtent pour me montrer... des frises sur le bas du bâtiment représentant des scènes du kamasutra ! Ils sont hilares en me montrant bien tous les détails. Nous avons là des scènes de coït dans de multiples positions, avec une ou plusieurs personnes, même des animaux, et ils sont morts de rire, de ce rire bien lourd qu'ont mes élèves en 3e souvent. Je ne peux pas croire que ces frises sont ce qui se rapproche le plus d'une représentation de leurs fantasmes d'ado, non, pas à l'heure d'internet, mais j'en ai bien peur à voir leur réaction.

 

 

Bref, tout ça pour dire que si des fois je culpabilise de voler des photos aux gens dans la rue, là, j'ai pris une bonne dose d'air frais et je suis remonté à bloc.

Un moment génial néanmoins : lors d'un arrêt à un autre temple dans la matinée, nous tombons sur un grand groupe de jeunes en déplacement. Ils sont au moins une quarantaine, toutes chaînes et perches à selfie et téléphones potables dernier cri dehors. Et ils font un bruit d'enfer. On dirait un marché, ou un match de boxe. Je me retourne : Olivier est en train de les photographier tous alors qu'ils posent pour un de leur pote. Des éclats de voix de partout, ils se prêtent au jeu et dès qu'Olivier a fini le cliché (et que j'ai dégainé ma GoPro, vif comme l'éclair), ils se ruent sur lui pour voir la photo sur son appareil. Il est aspiré par le torrent. Je suis non loin et on se retrouve dans une marée humaine, ils sont tous à nous saluer, nous poser des questions, c'est vraiment surper sympa. Puis vient le temps des selfies. Au moins 5 minutes, qu'on y reste. Ca ne fait pas long, 5 minutes, mais 5 minutes de questions identiques, de poses identiques, de sourires à faire en remerciement, et tu te prépares à continuer ta visite et reprendre tes photos, et tu entends "Please? photo?" et tout recommence... Je plains les animaux au zoo. Je compatis avec Johnny.

 


 

Voilà notre matinée. Mais c'était avant le restaurant.

 

 

BUNDI

 

Nous reprenons la route en direction de Bundi, prochaine ville étape. Nouvel accident de la route : une vache s'est fait percuter par un camion ou une voiture, on ne sait pas trop. Elle est morte sur la route, et un attroupement s'est formé sur le bas côté. Le choc n'a pas dû être très fort, elle est intacte. Mais morte quand même. Et puis, une vache, c'est dans un champs, non ? Tu en vois, toi, lecteur, des vaches sur l'A10, par exemple ?

Sunoo tente de nous faire changer notre planning, pour les prochains jours. Il veut nous faire accélerer sur Jaipur et Agra pour qu'il ait le temps de nous montrer des monuments à Delhi. Les monuments auxquels il veut nous amener, on voulait les voir au début, mais comme ils étaient excentrés, on les a rayés de notre liste, faute de temps. On lui dit qu'on va réfléchir. Par contre, pour son planning de demain (rdv à 8h, visite le matin et on part pour 4h de route à Jaipur), c'est carrément non. On n'a pas envie de se lever aux aurores pour n'avoir qu'une demi-journée de visite et le reste en voiture. Tout ça parce qu'il ne veut pas conduire de nuit (bon, je le comprends). Mais ne pas conduire de nuit ne signifie pas arriver à 17h!

Snoopy me gonfle, que cela soit dit.

Le palais de Bundi est une surprise totale lorsqu'on arrive (de nuit) : accroché à un côté de la colline comme s'il en sortait, il est éclairé comme Versailles et ressemble à une forteresse de Tolkien. Nous demandons à nous arrêter pour quelques photos. Vivement demain qu'on le visite.

 


 

La pension dans laquelle nous sommes ce soir, encore un AirBn'B, est très, très moyenne mais vraiment pas chère. J'avais pensé alterner les hôtels et pensions, histoire de voir plus de "vraies" gens. Mais là, avec cet après-midi, on les a vus, ça va, on aurait pu passer à l'hôtel.

Nous dînons dans le jardin du "Lake View Restaurant", qui donne sur le lac, donc. Bon, il fait nuit, ça sert à rien, mais on s'est arrêtés au premier venu. Repas pas mauvais, totalement indien, mais qui me conforte dans mon idée que pour l'instant, je suis un peu dégoûté de la cuisine indienne. Et je suis dégoûté d'être dégoûté.

Retour à la pension en faisant des photos de rue, où il y a autant voire plus d'animaux qui traînent que d'humains : des vaches, bien sûr, des chiens évidemment, et une nouveauté : quelques chats et des cochons... maigres, le poil dru et long, on dirait des petits sangliers ou rats géants, au choix, c'est une horreur. Et tout ce petit monde cohabite tant bien que mal, ça grogne, ça couine, ça meugle et ça jappe. Le chien craint la vache, qui craint l'humain (sauf moi, car elle me bouscule). Mais le cochon craint le chien, qui craint aussi l'humain. Par contre, l'humain craint un peu le cochon (enfin, moi en tout cas).

 



Puis nous tombons avec notre "voisin" d'en face, qui parle un peu français et a une furieuse envie de discuter avec nous. Tampi, qu'il s'appelle. "Tampi, tant pis c'est pas grave" nous sort-il. Il habite ici, fait aussi maison d'hôte, et guide accessoirement. Petite discussion franco-anglaise d'une vingtaine de minutes. Puis nous remontons.