Aujourd'hui (comme hier déjà), la fatigue commence à se faire sentir dès le réveil. Nous émergeons tôt, mais il est difficile de se lever. Nous sommes prêts à prendre notre petit déjeuner un peu avant 9h. Pas de salle de restauration ici, nous sommes vraiment chez l'habitant.

 voici une citation


Tiens, d'ailleurs, les maisons ici sont grandes. Enfin du moins celles qui sont transformées en bed and breakfast. C'était le cas à Jodhpur, déjà, et cela se confirme ici. La famille (toutes générations confondues) vit au rez-de-chaussée, dans ce qui leur sert de salon, salle à manger, cuisine et entrée de la pension. On se croirait plus dans un hall d'hôtel en fait, au regard de la taille de la pièce. Les étages sont utilisés et aménagés pour les chambres des clients. Souvent, le toit-terrasse devient terrasse de restaurant. 

Nous sommes donc montés sur le toit pensant trouver des tables et des chaises mais rien. Nous passons un étage en rénovation et le toit est complètement vide. Un toit, en somme.

Nous redescendons au rez-de-chaussée, saluons la smala et l'hôte nous dit de commander ici, il nous portera le petit déj soit dans la chambre, soit au canapé qui se trouve dans le couloir du 1er.

Nous remontons et patientons sur notre canapé, pendant qu'une dame en sari-femme de ménage soulève la poussière avec un grand balai sans manche et ramasse ce qu'elle peut autour de nous. Il va être bon, ce petit déjeuner : goût poussière. Justement, il arrive : toast, beurre, confiture, thé et pancakes à la banane. La dame arrête son ménage et passe dans une autre pièce au moment où nous attaquons le repas. Dans un moment de silence de bouches pleines, nous entendons un rot tonitruant résonner à côté. La dame s'est soulagée, elle en avait gros sur le coeur. On se regarde, interdits, et on éclate de rire.

Depuis hier soir déjà, un malentendu planait entre nous, comme nous étions sur le chemin du retour après le restaurant. Nous croisons un vieux monsieur enturbané, tout ce qu'il y a de plus respectable qui, au moment où il me passe (Olivier est devant moi), lâche une caisse de déménageur breton qui fait écho dans la ruelle.

Olivier ne m'a jamais cru, m'accusant à tort.

Maintenant, après le rot, je me tourne vers lui et lui lance sur un ton de reproche : "Ah. Tu vois? "

 



 

TARAGARH ET LE PALAIS

 

Nous déposons nos sacs dans la voiture de Snoopy, lui annonçons le programme : on le retrouve en milieu d'après-midi pour partir pour Jaipur. Il nous explique qu'on le trouvera dans sa voiture au parking sous les arbres, là-bas, il fera la sieste à l'ombre. OK. Et on part à l'attaque de cette impressionnante forteresse à flanc de colline.

Cette visite est à classer dans la catégorie "urbex" (pour avoir une idée de ce dont il s'agit, il faut se rendre sur l'excelllllent site kronoscopia.com. Ce palais y trouvera sa place lorsque les photos seront disponibles).

 



 

Le Palais de Garh est un édifice extraordinaire, dont Rudyard Kipling (toujours le même, l'auteur - entre autre - du Livre de la Jungle qui passa du temps à Bundi, mais nous ne pourrons pas aller voir sa demeure de l'autre côté de la ville) disait qu'il était l'oeuvre des lutins plutôt que celle des hommes. C'est peut-être un chouilla exagéré, même si d'évidence nous ne le découvrons pas tel que lui l'a connu.

Avant de vraiment pénétrer dans l'enceinte du Palais, nous passons devant la façade imposante. Nous marchons dans une sorte de terrain vague qui semble avoir abrité des écuries autrefois. Le rez-de-chaussée du palais est bien plus haut, en face, peut-être 20/25 mètres. Que de la brousaille et de la roche alentours : nous grimpons vers une ancienne entrée qui devrait nous permettre de pénétrer dans le bâtiment de manière insolite. Nous sommes en plein dans une exploration urbaine. Nous arrivons à l'entrée. Une forte odeur me fait soudain cligner des yeux mais je continue. L'entrée donne dans une salle haute et sombre. Le sol est très... doux, matelassé, c'est bizarre, on dirait de la moquette.

Les murs sont sales en hauteur, vers le plafond. On dirait qu'on y a fait du feu qui les a noircis. J'ajuste ma vue et d'écouvre alors non pas des marques de suie mais des tâches... qui bougent... des chauve-souris ! Les murs et le plafond sont couverts de chauve-souris, pas plus grosses que des souris en fait, et agrippées aux parois du mur telles des araignées géantes. Je n'en ai pas peur, mais je dois avouer que de les découvrir d'un coup ainsi, dans leur habitant, c'est tout de même assez impressionnant! Nous faisons quelques clichés religieusement pour ne pas les déranger, puis repartons vers la véritable entrée.

 


 

Ce palais est une triste ruine ouverte même si quelques salles offrent encore de belles perspectives et de nombreuses peintures et sculptures murales magnifiques. Tout est néanmoins dégradé, sans protection. Les voies interdites au public sont juste obstruées de pierres ou de planches de bois, quelle désastreuse vision. Un palais de maharaja réduit à ça. Je m'échappe à l'insu du gardien de l'entrée par un escaliers donnant dans la cour principale et monte à l'étage. De petites salles en enfilade donne sur la ville en contrebas, parfois occupées par des singes. Je tombe nez à nez avec deux d'entre eux en train de s'épouiller nonchalemment. Ils me regardent, je les regarde et chacun retourne à son existence. Les macaques peuvent ici poser quelques problèmes aux touristes qui empiètent sur "leur" territoire. 

J'ai l'impression d'être une fois de plus plongé dans une histoire de palais abandonné lentement rongé par la jungle, habité par toutes sortes d'animaux, surveillé de partout par des dizaines de vies différentes de la mienne et qui ne lui veulent pas forcément du bien. Peut-être vais-je me retrouver, au détour d'une ancienne cour de réception où jadis flottèrent des tentures de soie colorées parfumées d'encens, face à un tigre, dans cet enfer de sécheresse aux pierres craquelées, aux miroirs oxydés et aux peintures défraîchies.

 


 


 

Je sors de ma rêverie. C'est Olivier que je viens de retrouver. Tout est sauf. Nous poursuivons une partie de la visite ensemble. Les singes sont partout, restant à bonne distance. Nous découvrons la galerie qui servait aux audiences publiques, avec son trône de marbre blanc, et plus loin une petite cour percée d'un bassin en marbre et une partie couverte dont les murs sont façonnés en niches orientales, le fond peint de scènes mythologiques ou guerrières, voire les deux combinées. Aucune protection pour ces oeuvres qui s'affadissent, se craquellent et tombent en poussière au fil des jours, année après année. Une seule pancarte en anglais et en hindi annonce qu'il est interdit de toucher aux peintures "autrement vous aurez une amende" et d'utiliser un flash si on veut les photographier. Un scandale archéologique, une abomination culturelle. Mais que fait le gouvernement indien ?

 




 

Un homme en polo rouge arborant un sourire timide vient sussurer à mon oreille "beautiful paintings". Il a fait la même à Olive y'a pas 5 minutes. Il a un comportement d'autiste, on dirait. Je m'avance dans la partie couverte et il me suit en me répétant la même rengaine. Je lui souris mais essaye de m'écarter.  

Je reste quelques minutes devant mes murs décatis lorsque le type revient à la charge d'une petite voix et me dit, en me montrant une magnifique double-porte décorée de miroirs : "you want open ? Beautiful paintings. I have key." Je le regarde avec des yeux ronds. T'es un emloyé, toi? Pourquoi tu l'as pas dit plutôt ! Et le voilà qui rayonne lorsque je lui fais un signe de tête. Il voudra son tip, c'est sûr, mais si ça en vaut la peine, ça sera avec plaisir.

Au même instant, je vois un trait d'Olivier filer en direction de la sortie. Le son de sa voix le suit : "Je redescends, je peux plus tenir, putain" et je comprends qu'il a pris la direction des seules toilettes du palais, à l'entrée, en contrebas. Mes soucis intestinaux sont terminés semble-t-il. Les siens, non. Et ce matin, impossible pour lui de finaliser le dossier, si tu comprends ce que je veux dire, cher lecteur. Je me rappelle lui avoir dit qu'il allait refaire la même qu'en Islande : toujours au pire moment.

Je me sens Stéphane Berne. J'ai quasiment ouvert la double-porte pour découvrir une salle interdite au public ! Que d'émotions ! Ici, c'est incroyable. Tout est peint : murs, plafond, niches. Les peintures multiplient les détails de miniature, les soldats ont les poils de moustache différenciés, les feuilles sont dessinées dans des arbres de 3 centimètres de haut, les couleurs sont encore vives, certainement parce qu'elles sont plus à l'abri de la lumière et de la chaleur ici. La pièce est magnifique. Le type du palais a mérité son tip.

 






 

Nous nous retrouvons dans cette cour, Olive va mieux, libéré, délivré. Nous enchaînons les pièces vides, les balconnets en piteux état, certains sur le point de s'effondrer purement et simplement. Nous passons dans les jardins vers midi et demi. La chaleur est à son comble (ou du moins c'est ce que l'on croit). Ici, c'est le jardin des macaques. Des petits jouent à se courir après sur les toits, tandis que là, à 3 m de nous, sur la pelouse à l'ombre d'un beau bougainvillier, deux singes en épouillent un troisième, allongé sur le côté, rêveur.

 




 

Le jardin est organisé en carrés de pelouse bordés de buissons autour d'un bassin central où flottent des bouteilles en plastique et des journaux. Quelle misère que rien ne soit fait comme il faut.

 

 

LE FORT DES MACAQUES

 

Dernière étape avant de tomber raides de chaleur et de déshydratation (plus de bouteille pour l'heure), nous prenons la direction du Fort Taragarh, qui siège au-dessus du Palais, au sommet de la colline, et d'où partent les remparts qui délimitent la vieille ville.

Le chemin est à peine balisé, juste une piste de rocaille et de broussailles y mène et qui dès le départ passe devant un bâtiment abandonné de l'homme et reconquis par le singe. Ici, sur une vingtaine de mètres de longueur de l'édifice, les macaques ont élu domicile. Les petits se prélassent sur les dalles chaudes ou s'amusent à grimper le long de la vieille porte armée de piques anti-éléphant. Les autres sont sur le toit, aux fenêtres, dans le moindre trou et nous regardent passer. J'ai ma GoPro au bout de ma perche et je filme. Mais je dois paraître agressif avec mon bâton car un macaque s'approche du bord du toit et crie en montrant les dents. Toute la peau de son visage et de son crâne semble tirée d'un coup vers l'arrière en geste défensif. Je ne bataille pas, je m'arrête, baisse ma caméra puis trace ma route en pressant un litre d'huile entre mes fesses. C'est qu'ils ne sont pas gros, mais j'ai moyennement envie de me faire attaquer aujourd'hui. Je préfèrerais que ce soit Pentax. Au moins, je pourrais le filmer !

 


 


 

La montée au fort est un calvaire. Il fait chaud comme il n'est pas permis, la piste grimpe raide à flanc de colline et les soleil me brûle mes brûlures de hier. Je me transforme alors en Fatima avec mon chèche, mais cela ne résoud pas la chaleur. 

Le Fort est en pire état. La végétation a repris ses droits ici. Pas de singe, par contre, mais nous trouvons un puits à degrés qui nous rappelle que Bundi était surnommée la Cités des Sources. Jadis, il y eut jusqu'à 65 puits à degrés forés au plus profond de la terre qui se remplissaient automatiquement lors des mois de mousson et permettaient d'abreuver les êtres et d'irriguer les sols. Chacun était dédié à une divinité différente.

De nos jours, beaucoup ne sont plus entretenus mais visitables : nous avions prévu de visiter le plus grand et plus connu, le Puits de la Reine, après manger mais nous en découvrons finalement un ici, quasiment au sommet de la colline. Il est vide, asséché et nous y descendons. Il s'agit en fait plus d'un grand réservoir carré de quelque 15 à 20 mètres de côté dans lequel on peut descendre à tous les niveaux grâce à des volées d'escaliers sur chacune des parois. Photos sympa.

 



 

Puis Olive, insatiable, décide de poursuivre plus haut vers un autre bâtiment tandis que je préfère redescendre. Je suis venu, j'ai vu, je ne serai pas vaincu par la chaleur et la soif. Je recroise la maison aux macaques. Ils sont encore plus nombreux et lorsque je passe lentement à leur niveau, j'ai l'impression d'être la bête de zoo et eux les visiteurs. Très particulier. Comme s'il pouvait à la fois y avoir une sorte de communication (indéniable, les regards sont éloquents, presque humains) sans qu'on se comprenne finement bien sûr. C'est très troublant.

Plus bas, je croise un couple d'Italiens qui me demandent si je viens du Fort et si ça vaut la peine. Je leur explique ce que j'ai vu et que ce qu'ils verront de mieux sont les singes, à la maison après la porte. La femme me répond, "justement, on en vient... on n'a pas pu passer les singes, ils nous font trop peur!" Le type n'a pa l'air fier que tant d'intimité soit dévoilée d'un coup à un étranger mais il ne la contredit pas.

 

DEJEUNER CHEZ GOLU

 

Il est tard, il est très tard. On était censés retrouver Sunoo vers 14h et il est 13h45 et on n'a toujours pas mangé. On parcourt rapidement la rue principale, saluons en retour à peu près 3 ou 4 fois par minute et nous arrêtons devant une échoppe surélevée qui semble faire salon de thé. Quelques marches au-dessus de la rue et sur la largeur de l'échope, une table basse est posée avec deux chaises de chaque côté. En montant une marche de plus, c'est l'intérieur. La cuisine est sur le côté : un réchaud à gaz et des casseroles posés par terre. La commerçante nous fait signe d'entrer, on lui dit qu'on cherche à manger, pa simplement à boire et elle nous montre la carte. Il y a à manger. C'est boui-boui, c'est local, pas de touristes en vue, on y va !

 


 

Le fils, Golu, s'occupe de nous. Il nous explique tous les plats (heureusement qu'il n'y avait pas interro écrite après !) et on s'asseoit à la table. Il nous prépare en live deux lassis super bons à la cardamome pilée pendant que maman monte à l'étage cuisiner nos deux plats. Nous ne savons absolument pas ce que nous avons commandé. Y'a du dal (sorte de soupe de lentilles), c'est sûr, mais pour le reste...?

La préparation dure longtemps, une demi-heure, et nous serons largement en retard mais tant pis. Quand les plats arrivent, surprise : un petit bol de dal, un autre d'une mixture liquide non-identifiée et un petit pain en boule luisante et très chaude. En l'ouvrant, on découvre que la pâte n'est pas bien levée et/ou cuite. Très dense. Le pain, non salé, a été rapidement plongé dans du ghee, le beurre clarifié. Finalement pas mauvais, surtout quand Golu revient nous verser du ghee sur nos moitiés. Il ajoute également une assiette de crudités, tomates et carottes en tranches, qu'il saupoudre de sel en précisant "no charge salad". La salade, c'est cadeau.

On se regarde avec Olivier. L'alerte ATTENTION LÉGUMES LAVÉS vient de se déclencher dans nos têtes. Bon, cela ne nous a pas empêché de tomber malade, mais autant que possible, on a essayé d'éviter les légumes frais non pelés, car ils sont lavés à l'eau dégueu et c'est donc comme si on buvait de l'eau dégueu (ou d'égout?). Là, c'est difficile de refuser, ils sont si gentils.

Allez, tant pis. La turista, c'est fait. Et j'ai également déjà eu l'hépatite (A ou B, je ne sais plus) qui s'attrape justement avec des légumes souillés. Une tomate à la croque-sel n'a jamais tué son homme, si ?

 




 

Nous finissons notre repas sur 2 chai, ou masala tea, ou encore indian tea, ou encore le thé indien aux épices, avec double filtration (je l'ai vue faire, la dame). Un délice. Mais il nous faut partir. Nous demandons la note, y'en a pour 380 roupies. Il a marqué que le thé et la salade étaient cadeau. On lui tend un billet de 500 et leur disant de tout garder. Bon Dieu, j'ai jamais vu un sourire aussi large! Ilss nous prennent les mains dans les leurs, se touchent le coeur, nous font remplir le livre d'or. Photos de rigueur, échange d'adresses, même le numéro de téléphone y passe, c'est marrant. Note mentale : je dois absolument leur envoyer les photos. Même par voie postale. Puis c'est le départ.

 

JAIPUR

 

Nous arrivons à Jaipur avec deux heures d'avance, pour une raison inconnue. Vers 18h. Sunoo nous propose d'aller voir un temple sympa, nous disons oui. Effectivement, ce temple hindou est surprenant : tout en marbre, du sol au plafond, avec une grande salle principale... et aucun pilier ! Une prouesse architecturale probablement. Tu ne le sauras jamais lecteur, ni ne verra ce temple à moins de t'y rendre en personne : les photos sont interdites.

 


 

Direction l'hôtel une petite heure après. Jaipur détonne de ce que nous avons traversé jusqu'alors : une ville énorme et moderne. Des bâtiments tout illuminés, aux formes géométriques avant-gardistes rivalisent d'éclat sur une courte portion. Probablement le centre économique. Ca fait du bien aussi de voir que l'Inde ne se résume pas à de vieilles ruelles tortueuses et nauséabondes, et que nous ne sommes pas dans un pays arriéré. Juste en voie de développement.

L'hôtel est une agréable surprise. Il était réservé sur AirBnB et jusqu'à présent, c'était les logements les plus craspouilles. Et là, nous avons deux nuits à Jaipur, donc je serrais un peu les fesses en arrivant. La chambre qu'on nous ouvre nous arrache un "ouaaah!" d'étonnement. 

Déjà, ce n'est pas une chambre. C'est une suite. Oui, madame. Une suite de 56 mètres carrés pour... pour...? 36€ ! Et c'est pour deux nuits, eh ! Salon avec un canap et deux fauteuils, deux grands lits king size. Hallucinant. 

Inde, terre de contrastes.